Les sens dans notre perception de l’environnement matériel
Par Beno
Nous allons axer notre réflexion sur les sens
et l’impact qu’ils ont sur une création de type Arts Appliqués. En d’autres
termes, de quelle manière interviennent-ils dans ce domaine ? Quels
questionnements et quelles réponses ont-ils apporté ?
Vers un design sensoriel
Au cours des siècles,
l’homme a quelque peu oublié l’usage premier de ses sens. Aussi, dans notre
société de consommation où l’offre est très importante, l’individu, sans en
émettre le besoin, s’est vu proposer des réponses à ses attentes. C’est alors
que le consommateur devient de plus en plus difficile, d’où une difficulté plus
grande à le surprendre. Pour répondre à ses exigences, il a fallu le séduire, en
réveillant ses instincts, en mettant ses sens en éveil et lui faisant vivre des
expériences sensorielles fortes. Le consommateur dirige son choix à partir de la
perception qu’il a du produit. Certains vont être attentifs à la solidité de
l’objet, son aspect fonctionnel, sa légèreté. D’autres sont attirés par le
produit haut de gamme, voire ludique.
Les taches du
designer
Pour répondre à ses
attentes, le designer, aujourd’hui, a pour mission de mettre en valeur la
perception immédiate de ces qualités. Son rôle est de donner une identité au
produit ; cela intervient dans la forme, la couleur, le matériau utilisé ou
encore le bruit qu’il peut produire. Il doit également travailler sur sa
robustesse, ses performances, sa fonctionnalité et aussi son esthétique.
La qualité perçue
Le designer ne doit pas
perdre de vue que le consommateur ne juge pas en premier lieu les qualités
propres ou encore intrinsèque du produit. Son choix est davantage dicté par la
« qualité perçue », termes que les spécialistes emploient pour désigner la bonne
impression que l’objet donne au consommateur. Cette « qualité perçue » est
déterminante dans l’acte d’achat. C’est elle qui fait la différence entre des
produits techniquement similaires, car le consommateur néophyte n’est pas
toujours en mesure d’apprécier la qualité technique du produit. On le remarque
notamment dans les domaines de l’électroménager, la hi-fi, la vidéo,
l’automobile…
Le « packaging » tient
également un rôle très important. Il engendre, lui aussi, une « qualité
perçue », déterminant la valeur du contenu. Il influe davantage sur la décision
d’achat que sur le contenu lui-même.
La couleur
La première
chose perçue par le consommateur est la couleur. Elle passe avant la forme,
parce qu’elle possède un pouvoir émotionnel direct. L’attirance du consommateur
pour telle ou telle couleur, sera déterminante pour le choix du produit. C’est
un élément essentiel qui stimule notre rétine. Par exemple, « Radi designers »
ont travaillé sur la perception en créant « sonnette Patrizia ». Comme son nom
l’indique, c’est une sonnette dont l’atout est d’être visible dans une cage
d’escalier éteinte grâce à ses pigments phosphorescents en élastomère. De plus,
cette sonnette propose de nouvelles matières qui provoquent des sensations
inattendues dans les domaines du visuel et du tactile.
Un créateur,
tel que Cyberdog, s’est penché sur la problématique du « stimuli visuel » à
travers le stylisme. Pour cela, il réalise des vestes sur lesquelles sont
incorporées des hologrammes ou encore des diodes qui s’allument lorsque l’on
presse dessus. Ces créations s’inscrivent dans une mode nommée « Cyber-kei »
(tendance cyber), qui remporte un franc succès dans les soirées techno de Tokyo.
Olivier Lapidus, autre styliste, a expliqué
lors d’une conférence, à Montréal, en octobre 2000, son intention d’explorer le
concept de l’ordinateur vestimentaire. La technologie est au cœur de son
argumentaire, elle est un moyen, pour lui, d’exploiter des matières et des
formes destinées à la réalisation de nouveaux vêtements. C’est depuis 1985 que
Lapidus travaille sur ce projet basé sur la thématique des cinq sens et allie
l’informatique au vêtement. "Je voulais rejoindre les cinq sens".Il
réalise des robes tissées de fibres optiques en bandeaux. Grâce à un procédé
technologique, il parvient à transformer les faisceaux lumineux produits par les
sons en couleurs, qu’il imprime au laser. Il en ressort des motifs
psychédéliques. Lors d’un défilé, il présente des robes qui ont pour motifs des
chansons des Rolling Stones et des Beatles. Avec le transfert du son en couleur,
Olivier Lapidus matérialise en couleur ce que notre ouie ne pouvait jusqu’alors
qu’imaginer ou interpréter.
Notre perception visuelle de la couleur nous
procure des sensations agréables ou au contraire désagréables. Les couleurs
requièrent toutes une signification, un statut social qui leur est propre et
influence nos émotions
Chaque période ou saison, dans la mode, fait
l’apologie de telle ou telle couleur. Par exemple, les années 70 ont répandu le
orange dans tous les domaines créatifs. Par la suite, il laisse place au noir et
aux couleurs plus pâles. Ainsi, la couleur des TGV du Sud-Est de la France est à
l’heure actuelle dépassée, comparée au TGV Atlantique qui arbore des couleurs
bleues rappelant l’océan.
Nous disions
préalablement, que les couleurs détiennent leur signification. Nous pouvons le
vérifier grâce aux produits laitiers, dont les codes colorés sont très stricts.
Nous rencontrons le plus généralement des teintes claires à tendances bleutées.
Le matériau
La couleur
n’est pas le seul atout séduisant pour un produit. La qualité et l’originalité
d’un matériau sont aussi importantes. Le travail de « Radi designers » tente de
développer cet aspect qui contribue à la perception des produits. Le matériau
induit une qualité perçue qui lui est caractéristique.
Prenons
l’exemple du bois, matériau noble. Son utilisation pour un tableau de bord de
voiture, va produire un impact valorisant pour le véhicule. En revanche, si le
bois intervient sur le coffrage d’un téléviseur, il risque d’être perçu de façon
négative. Ici le matériau soutient la qualité de l’objet, mais il peut également
participer à l’ergonomie d’un produit, tout en lui donnant du sens : la brosse à
dents est un objet qui associe le plastique et l’élastomère et donc plus facile
à manipuler tout en étant plus agréable au toucher.
Notre sens
tactile est sollicité par la matière, autant que celui de l’œil et de l’ouïe.
Les procédés,
pour rendre les matières plus attractives et originales, sont nombreux. La
société suisse Schoeller a travaillé sur un tissu « aile de papillon », piqué de
fils fluorescents et phosphorescents, produisant l’effet escompté.
Le tissu, en
polyester, d’Yssey Miyake, dont les propriétés spécifiques du matériau
maintiennent, en toutes circonstances, son aspect plissé, a rendu sa griffe
célèbre.
L’innovation technologique a bouleversé
l’univers des matériaux. Aujourd’hui presque tout est possible. On peut associer
divers matériaux afin d’offrir de nouvelles résonances à la conception de
produits ou d’emballages, qui sont, de ce fait, radicalement novateurs. Les
designers souhaitent, avec ces procédés, éveiller notre sens tactile.
Le toucher
Le toucher est
devenu un signe fort en terme de qualité perçue, notamment sur les produits haut
de gamme.
Depuis les
années 90, le designer s’emploie à développer, non seulement la couleur en
exploitant les effets spéciaux qu’elle produit. Il combine à la fois le reflet,
la matité, mais encore le toucher en utilisant, par exemple, le caoutchouc, dont
l’aspect stimule de nouvelles sensations.
Le côté
tactile d’un produit est déterminant quant au choix du consommateur. Lorsqu’il y
a cohérence entre la perception visuelle et la sensation tactile, le
consommateur est confiant à l’égard du produit.
Ces deux sensations ont été très développées
dans les créations de nouveaux textiles, tels que les tissus thermorégulateurs
adoptés par de nombreux et célèbres stylistes comme Versace, Armani, Prada…
L’objet
n’échappe plus à la séduction tactile qu’il arbore sur son enveloppe. Le toucher
« soft » à base de matière caoutchouteuse remporte un franc succès sur les
téléphones, les agendas ou les stylos.
Le son
Malgré
l’éloignement du toucher et du son, on peut remarquer que ces deux sens sont
parfois associés.
En effet à
partir d’un son émit lors de la manipulation d’un objet, il est possible
d’identifier sa marque. Ce phénomène existe avec le « Zippo », qui, lorsqu’on
ouvre le clapet pour allumer la flamme, déclenche un « clac » caractéristique à
la marque. Ou encore « Harley Davidson », qui a déposé un brevet pour protéger
le son mythique de ses motos.
Le bruit est
un facteur supplémentaire pour rendre attractif un produit. Chez Renault, il n’y
a pas moins de 300 personnes qui travaillent sur le bruit. Les constructeurs
automobiles ont pris conscience de l’importance des sons émis par un véhicule.
Aussi, la portière doit faire un claquement sourd et mat, lors de sa fermeture.
Le bruit perçu par le client est une garantie de solidité et de qualité.
Outre l’aspect
sonore du son, le bruit peut être un élément constitutif de l’image publicitaire
de la marque. Souvenons-nous du slogan « clic-clac, merci Kodack », dont
l’exemple est représentatif de ce phénomène.
Le bruit
symbolise un message de qualité : la robustesse, la légèreté, le dynamisme. Cet
événement sonore agit sur la « qualité perçue ».
Il faut
souligner l’idée de séduction du son sur laquelle le designer travaille. Il nous
fait entendre un bruit spécifique, mais il développe également notre écoute.
Nous pensons à la collaboration de Levis et Philips qui ont joint leurs
performances dans le but de créer une veste qui contient un portable Philips et
un lecteur MP3. Cette inscription technologique dans le vêtement nous permet
d’être à l’écoute d’un ami, s’il veut nous joindre, ou de la musique. Le
designer contribue à une communication plus riche.
On peut
conclure sur l’importance de l’aspect sensoriel dans la stratégie de marketing à
laquelle s’ajoute le phénomène olfactif qui joue un rôle comparable à ceux
précédemment cités. Son ampleur apporte de nouvelles dimensions dans la
perception de l’objet.
L’olfactif
Dès 1996, la
société « Euracli » s’est associée à « Hermès » pour parfumer ses carrés de soie
avec la fragrance « Calèche ». De même, elle travaille sur la publicité
olfactive en incorporant du parfum dans des petites capsules « Scratch and
sniff » accessibles dans les magasines, les emballages ou les jeux.
Ou encore,
Olivier Lapidus qui confectionne une veste en tweed à l’odeur du cuir (1998).
Le domaine du
multimédia, avec l’ampleur d’Internet et sa capacité commerciale, n’échappe pas
au design sensoriel. France Télécom et ses partenaires ont mis au point, en
septembre 2000, le premier dispositif expérimental de diffusion d’odeur sur
Internet. Un usager peut de ce fait sentir en temps réel, via un diffuseur
local, des odeurs associées au contenu multimédia qu’il consulte.
A l’aide de sa
souris l’internaute peut, par exemple, humer un parfum commercialisé par une
grande marque
L’hypersophistication,
à laquelle l’odorat participe traduit notamment le « design sensoriel ». Par ce
terme, on entend le developpement des qualités visuelles (couleurs-matières,
formes), mais aussi tactiles, sonores et odorantes. C’est un travail très fin et
subtile qui agit sur la qualité perçue du produit.
Au cours de
notre réflexion nous avons constaté que la prise en compte des cinq sens est
essentielle à la réalisation d’un bon produit. Les designers se sont posés de
nombreuses questions dans le but d’offrir une « qualité perçue » la plus
satisfaisante. De plus, le grand nombre de consommateurs scindent en catégories
plurielles les goûts, les attirances et les émotions. C’est pourquoi, le
designer formule de nombreuses réponses des plus nobles aux plus sophistiquées
et aux technologies extravagantes, toutes dirigées vers le souhait de séduire et
de satisfaire le consommateur.
Beno